La voiture en route pour la destruction la biodiversité

Les chiffres inquiétants qui s’accumulent ces dernières années, plus alarmistes les uns que les autres, peignent un sombre tableau de l’état de la biodiversité animale et végétale en Europe et dans le monde. On peut citer en particulier les travaux de l’IPBES [1] (Plateforme Scientifique Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Ecosystème, l’équivalent du GIEC pour le climat), qui montrent que de 40% (pour les animaux et plantes terrestres) à 70% (pour les poissons) des espèces sont en déclin en Europe. A l’échelle mondiale, c’est 1 million d’espèces sur les 8 millions estimées qui sont menacés d’extinction à court terme. Le rapport « Planète Vivante » de WWF [2], quant à lui, alerte sur la disparition de 60% des populations d’animaux sauvages depuis 1970. Au total, le rythme actuel de disparition des espèces est ainsi jusqu’à 100 fois plus important que celui qu’il a été ces derniers milliers d’années.

Le constat est accablant, et les causes de ce désastre écologique sont connues et regroupées en cinq grandes familles de menaces :
– la pollution des milieux naturels
– la surexploitation des ressources biologiques
– la destruction des habitats par artificialisation ou modification des sols
– le changement climatique
– l’impact des espèces invasives.

Nous allons examiner synthétiquement dans cet article la contribution de la voiture à chacune de ces menaces.  

Pollutions des milieux : marées noires, plastiques, particules fines

En premier lieu, c’est l’impact dévastateur des marées noires qui vient à l’esprit, les pétroliers et autres plateformes maritimes étant effectivement les pourvoyeurs incontournables du carburant de nos voitures. Les accidents, navires échoués ou explosions de plateformes, se sont succédé au cours des décennies, avec à chaque fois des dégâts importants voire irrémédiables infligés la biodiversité marine et littorale. La faune est décimée par dizaines de millier d’individus, qui meurent par asphyxie, noyade ou hypothermie après avoir été englués  (voir article scientifique sur l’impact du Prestige [3]), et ne voient pas leur population retourner à la normale même après plusieurs décennies. Les fonds marins sont également touchés, jusqu’aux micro-organismes.

Deuxièmement, l’utilisation du pétrole pour le transformer en carburant pour les voitures est le premier responsable de la surutilisation du plastique dans nos sociétés. En effet, celui-ci, bien qu’il présente nombre d’avantages indéniables en tant que matériau, a aussi été favorisé en raison de sa qualité de « sous-produit » du raffinage qui permet de passer du pétrole au carburant. En effet, le procédé de raffinage laisse l’industrie avec du naphta sur les bras [4], un résidu qui ne peut plus être exploité pour en faire du carburant. C’est donc « naturellement » qu’une utilisation lui a été trouvée, la production de plastique, pour éviter des coûts de stockage fâcheux tout en tirant un profit substantiel de cet déchet abondant et rendu disponible par l’usage massif de carburants… La voiture est aussi directement responsable du déversement annuel de centaines de milliers de tonnes de particules de plastiques dans les océans [13] : celles-ci proviennent de l’abrasion des pneus sur les routes, qui n’épargne pas les véhicules électriques.
On peut donc considérer sérieusement la voiture comme une contributrice majeure à l’abondance du plastique, qui détruit les milieux naturels marins notamment, étant à l’origine de multiples hécatombes d’oiseaux, de poissons, ou de mammifères marins.

Par ailleurs, on parle souvent de l’effet délétère des particules fines sur la santé humaine, mais ce fléau touche aussi les animaux, comme le rappelle cet article [5] qui évoque l’affaiblissement des animaux domestiques, mais dont le mécanisme s’applique bien évidemment de la même manière sur la faune sauvage.

Même la pollution sonore, liée en grande partie aux transports, met en danger les écosystèmes en limitant les zones de survie et de reproduction jusque dans les espaces protégés, comme le montre cette étude américaine [6] (en français, lire l’article du monde à ce sujet). Le bruit de fond généré pas les activités humaines cause en effet des perturbations dans le bon fonctionnement de nombre d’espèces, qui ne peuvent plus percevoir les sons naturels nécessaire à leur survie qu’à bien plus courte distance …

Changement climatique : le transport premier contributeur aux émissions de CO2

Le changement climatique, lorsqu’il est aussi rapide et brutal que celui que nous connaissons depuis la fin du 20ème siècle, provoque des ravages sur la vie sauvage. D’après ce rapport du WWF [7], un réchauffement de 4,5 degrés menacerait d’extinction 50% de la totalité des espèces, tandis qu’une augmentation limitée à 2 degrés engendrerait un risque pour 25% d’entre elles.

En France, la responsabilité majeur du secteur des transports dans ce réchauffement ne fait aucun doute puisqu’il est responsable de 29 % des émissions de gaz à effet de serre [8]. Ce chiffre en fait, de loin, le secteur le plus polluant, devant l’agriculture (17 %) et l’industrie manufacturière (11 %). Parmi ces modes de transports, la grande majorité du dioxyde de carbone (CO2) est sans surprise émise par les voitures des particuliers (54 %) et des poids lourds (21 %).

Artificialisation des sols : toujours plus de routes

La pression néfaste de l’artificialisation des sols [9] sur la biodiversité est largement admise et reconnue par le ministère de la transition écologique lui-même, qui rappelle que « la transformation d’un espace naturel en terrain imperméabilisé, modifie considérablement ou fait disparaître l’habitat des espèces animale ou végétale de cet espace naturel, et peut conduire à leur disparition d’un territoire« . Dans les zones les plus denses, c’est l’une des principales cause de la disparition de la biodiversité.

Le ministère du « développement durable » nous informe lui-même dans ce rapport [10], que « L’ensemble du réseau routier occupait, en 2012 (dernière année connue), 1 230 milliers d’hectares, soit un peu plus que la superficie de l’Île-de-France (1 201 milliers d’hectares) et 10 % de plus qu’en 2006 […] le réseau le plus étendu et le plus dense d’Europe« . Le chiffre ne semble pas avoir été actualisé depuis (et pour cause ?), le document datant de 2020. Le rythme de l’augmentation, 10% en seulement 6 ans, est toutefois suffisamment importante pour s’en alarmer, ainsi que de l’appétit vorace de la voiture pour les terres bituminées qui viennent elles-mêmes avaler sans discernement les terres agricoles ou les milieux naturels.

Le réseau routier constitue ainsi la partie la plus visible et la plus nette du phénomène d’artificialisation due à la voiture. Mais cette dernière est aussi responsable, via sa consommation de carburants notamment, d’artificialisation au sens large, c’est-à-dire de modification des sols : il s’agit souvent du passage d’une forêt à une exploitation agricole, provoqué par exemple par la production de biocarburants (voir paragraphe suivant). Le réseau routier, tentaculaire, étend son influence néfaste bien au-delà de sa propre surface, en modifiant l’écoulement des eaux, accélérant ainsi le ruissellement et la diffusion de pollutions chimiques issus des véhicules dans les milieux naturels, cours d’eau et nappes phréatiques compris.

Il ne faut pas oublier également que l’artificialisation des sols provoque contribue elle-même à la menace du changement climatique, en particulier en supprimant massivement les puits à carbone que sont les espaces naturels ou semi-naturels, mais aussi en modifiant l’albédo de la surface, les couleurs sombres de nos routes absorbant une bien plus grande part du rayonnement solaire que la végétation.

Surexploitation des ressources naturelles

La surexploitation des ressources est souvent associée dans les esprits à la surpêche, qui mène effectivement à l’effondrement de la population de nombres espèces marines, poissons ou mammifères en premier lieu. Celles-ci peuvent être la cible directe de la pêche commerciale, ou d’autres fois des victimes collatérales qui sont prises dans les filets en raison du manque de faible sélectivité de bon nombre de pratiques. Même relâchées, leur taux de survie est souvent très faible.

Les espèces marines ne sont malheureusement pas le seul exemple de cette surexploitation, et sur ce tableau aussi, la voiture porte une part importante des responsabilités. En premier lieu, à travers la consommation de carburants, elle est l’un des principaux exploitant de forêt, en raison de l’utilisation croissante de biocarburants dont l’origine n’est pas toujours vertueuse. C’est le cas en France de la raffinerie de La Mède qui, malgré les promesses de son propriétaire Total, fait appel à de l’huile de palme à l’origine trouble, très vraisemblablement issue de la déforestation [11]. De manière générale, les biocarburants sont aussi bien souvent extraits de maïs ou soja qui sont cultivés de manière intensive sur des terres prises à la forêt au cours des dernières décennies, et participent aussi par ce biais à la surexploitation des ressources qui met en danger la biodiversité.

Propagation des espèces invasives

Les espèces invasives, conséquence directe de la mondialisation des échanges qui est allée croissante depuis des siècles, est la dernière cause de réduction de la biodiversité, que ce soit au niveau végétal ou animal. « Algues tueuses », Renouée du Japon, frelons asiatiques, lapins, dromadaires… L’histoire de ces espèces dites envahissantes (hors de leur milieu de vie initial) fait souvent la une des médias, et reflète une réalité implacable. Celles-ci font d’autant plus de ravages que le biotope envahi est isolé : l’exemple le plus célèbre est sans doute celui de l’Australie, qui a vu pulluler nombre d’animaux importés à l’époque par les colons, provoquant la disparition de 10% des espèces de mammifères endémiques, à l’instar du loup de Tasmanie.

Si l’avion et les navires de commerce sont pointés comme les principaux responsables de l’introduction d’espèce invasives dans des milieux écologiques inadaptés, la voiture favorise aussi grandement la propagation de ces espèces de proche en proche, notamment via le tourisme. L’exemple le plus frappant est celui du moustique tigre, qui d’après une étude franco-espagnole voyage en voiture [12], augmentant ainsi drastiquement sa vitesse de migration, à la base très limitée de manière naturelle. On retrouve d’ailleurs sa présence de manière plus concentrée dans le périmètre proche des aires d’autoroutes…

La voiture contribue activement et au tout premier plan à la destruction toujours plus rapide de la biodiversité en France et dans le monde, jusque dans les milieux les plus protégés. Mettons fin à ce massacre : changeons notre manière de se déplacer, faisons pression sur nos élus, vivons sans voiture !

 

[1] IPBES, Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère, 2019

[2] WWF, Rapport Planète Vivante: 60% des populations d’animaux sauvages perdues en 40 ans, 2018

[3] Oieau.fr, Bilan synthétique de la marée noire du Prestige sur le littoral aquitain, 2012

[4] Futura-Science, La fabrication du plastique en 5 étapes, 2019

[5] Le Monde, Pollution de l’air : les animaux, des sentinelles pour l’homme, 2018

[6] Science, Noise pollution is pervasive in U.S. protected areas, 2017

[7] WWF, La Nature face au choc climatique, 2018

[8] Citepa, Rapport Secten : Gaz à effet de serre, 2020

[9] Ministère de la transition écologique, Artificialisation des sols, 2020

[10] Ministère de la transition écologique, Les infrastructures linéaires de transport: évolutions depuis 25 ans, 2016

[11] Greenpeace, Total carbure à la déforestation à La Mède, 2019

[12] Sciences et Avenir, Les moustiques-tigres voyagent en voiture, c’est prouvé, 2018

[13] IUCNInvisible plastic particles from textiles and tyres a major source of ocean pollution – IUCN study, 2017